Crise ivoirienne : le cinglant échec de Gnassingbé Eyadéma
par UFCTOGO.COM , le 30 décembre 2002, publié sur ufctogo.com
Alors que la situation était très sérieuse en Cote d’ivoire, et que ces dramatiques circonstances nécessitaient un médiateur ayant une exemplaire stature morale, intellectuelle, et politique, ce fut le tyran-bouffon de Lomé 2 qui s’imposa comme intercesseur aux parties en conflit, uniquement préoccupé, non par le sort des populations ivoiriennes, mais par son propre sort, c’est-à-dire la perpétuation de son régime despotique et personnel.
Car, en arrachant la médiation de la crise ivoirienne au président Wade, le despote togolais avait en tête son agenda de politique intérieure. Ce rôle de sage et de faiseur de paix que Gnassingbé Eyadéma aime à tenir, ne vise qu’à détourner l’attention de la communauté internationale sur l’oppression qu’il fait subir au peuple togolais depuis bientôt 40 ans.
En effet, Gnassingbé Eyadéma est soumis depuis dix ans à une double pression, celle de son opposition et celle de la communauté internationale, pour démocratiser véritablement son régime, et donc permettre l’expression libre, transparente du peuple togolais pour se choisir ses représentants.
Or, s’appuyant sur une garde prétorienne, et ayant multiplié une très vaste clientèle politique, Gnassingbé Eyadéma n’entend nullement quitter le pouvoir, encore moins permettre qu’un multipartisme véritable s’installe au Togo. Il lui suffit de jouer au démocrate et de claironner le discours légaliste quand cela sert ses intérêts.
Ainsi, en même temps que le dictateur togolais joue à l’entremetteur entre les protagonistes ivoiriens, il s’apprête à commettre un nouveau parjure en modifiant la Constitution afin de se représenter au poste de président de la république, en ayant pris le soin d’écarter le rival qui lui avait ravi le siège le 21 juin 1998, c’est-à-dire Gilchrist Olympio.
Tel est l’enjeu des gesticulations de Gnassingbé Eyadéma pour se mettre au devant de la scène dans l’affaire ivoirienne.
Cependant, ses manigances n’abusent personne. La médiation de Gnassingbé Eyadéma n’a pas fait long feu...Notre homme a bel et bien échoué !
Depuis le 30 septembre, qu’il s’est mis en tête de régler le conflit ivoirien, aucun résultat tangible n’a été obtenu par Eyadéma.
Les protagonistes ivoiriens envoyés à Lomé pour discuter tournent en rond...Et cette situation nous rappelle un précédent, celui du criminel Fodé Sankoh, protégé et hébergé à Lomé par Gnassingbé Eyadéma en 1999.
Manifestement, Eyadéma n’est pas l’homme pour cette situation ; ce manteau est trop lourd pour ses épaules.
C’est du reste l’opinion de deux universitaires ivoiriens pour qui : « l’échec de la médiation conduite à Lomé par le président Gnassingbe Eyadema était prévisible car elle a démarré sur des bases fausses, c’est-à-dire sur un très mauvais diagnostic des causes de la crise ivoirienne et sur une mauvaise appréciation des faits et de la réalité actuelle. Ces erreurs d’appréciation...se comprennent mieux quand on sait que sur le continent africain, où dominent encore largement une culture de l’autoritarisme et de la criminalité politique incarnée parfaitement par le très long règne meurtrier du médiateur Eyadema, on manque singulièrement de deux choses essentielles : la culture de la négociation et la culture démocratique. Or la crise ivoirienne exige de rechercher, dans la transparence et la rigueur, une voie négociée vers la démocratie dans un pays qui souffre de déficit démocratique depuis l’indépendance. Des médiateurs ! sans culture démocratique peuvent-ils faire avancer la Côte d’Ivoire sur le chemin de la démocratie, seule solution à la crise ?
La culture du sentiment qui se résume à des africaneries ridicules qui empêchent au nom d’un certain "grand frèrisme" - cher à "Papa" Eyadema - superficiel et inefficace, c’est-à-dire à des manipulations et enfantillages recourant au registre de l’affection, de l’émotion qui interdisent en définitive de faire une analyse lucide, distanciée, froide, objective et sérieuse d’un conflit armé On a ainsi vu Gnassingbe Eyadema encombrer inutilement et sans grand résultat les négociations par des séances de prières, le tintamarre de chorales, des invocations divines déplacées en faveur de la Côte d’Ivoire. C’est autant d’énergies gaspillées qui auraient pu être mise au service d’une approche rationnelle, faite de raison et de bon sens » ("LES GRAVES CARENCES ET " AFRICANERIES " DE LA MÉDIATION PARTISANE D’EYADEMA ET DE LA CEDEAO" par Fatou Gaye-Coulibaly & Tiemoko Coulibaly. Article publié sur Abidjan.net et diastode.org )
Assurément, le dictateur togolais est un « médiateur particulier » : c’est l’affirmation très bien étayée par Oumar Kouressy, journaliste à Sud Quotidien, qui relève : « tout ceci aurait été à l’honneur du général-président et ferait la fierté du continent si, ce contre quoi Gnassingbé Eyadema s’active aujourd’hui ne le caractérisait pas personnellement. La présence à Dakar, depuis le week-end dernier de l’opposant Me Yawovi Agboyibo, leader du Comité d’action pour le renouveau (Car), pour solliciter la médiation du président Abdoulaye Wade dans la crise politique au Togo en est l’illustration la plus éloquente. Cela donne à rire puisqu’il est question d’intervenir dans un pays qui joue la médiation paradoxalement pour un autre avec qui il partage les mêmes problèmes. Et Gnassingbé Eyadema en aurait pleuré s’il avait réellement conscience de la gravité de ce que son propre pays traverse. Des problèmes auxquels fait face cette ex-colonie allemande de seulement 56 785 km2 pour 4,7 millions d’habitants, baignée au Sud de l’Océan atlantique et cloîtrée entre le Ghana à l’Ouest et le Bénin à l’Est. Ces problèmes qui ont pour nom : crise économique, instabilité politique, mauvaise gouvernance, gabegie, népotisme, gestion clanique, tribale et familiale du pouvoir depuis presque quatre décennies ne trouvent autrement leur origine que dans la façon dont Gnassingbé Eyadema est arrivé au pouvoir et la main d’acier avec laquelle il se maintient à la tête du Togo.
Quel conseil Gnassingbé Eyadema peut-il donner à ses interlocuteurs sur la démocratie et le respect des institutions de la République s’il a été le premier en Afrique, toutes régions confondues, à inaugurer le cycle infernal des coups d’Etat qui ont longtemps terni l’image de notre continent ? En effet, on se rappelle que c’est Eyadema qui a, en 1963, quelques instants seulement après la naissance de l’Oua, renversé le régime du premier président togolais, Sylvanius Olympio. Après avoir installé Nicolas Grunitzky, ce dernier connut le même sort que le père fondateur du Togo. Car, le 13 janvier 1967, son protégé d’alors a été renversé. Le lieutenant-colonel Gnassingbé Eyadema s’installe au pouvoir. Depuis, il ne le quitte pas. Trente cinq ans sont déjà passés. Eyadema utilise tous les moyens pour renforcer son pouvoir et s’y maintenir. La vague de mouvements de protestations du début des années 1990 qui ont secoué tous les dinosaures sur le continent n’ont eu aucune emprise sur le général-président. A coup de centaines de morts et d’innombrables arrestations, d’exil forcé et d’élections truquées, Gnassingbé Eyadema a défié son peuple qu’il a maintenu dans une des pauvretés les plus criardes sur la planète. Le taux de croissance du Produit intérieur brut (Pib) est passé de 2,9% en 1999 à 2,8% en 2001, contre un résultat négatif (-1,9%) en 2000. L’inflation s’est quant à elle aggravée, le taux annuel passant de 1% en 1998 à 2,9% en 2001, contre 1,9% en 2000.
Le salut qui aurait pu venir de Gilchrist Olympio, fils de Sylvanius Olympio et leader de l’Union des forces de changement (UFC) est enterré. Certainement pas à jamais. Mais manifestement pour très longtemps encore. Car, depuis 1998, après les élections présidentielles dont la victoire lui avait été attribuée par l’opposition, Gilchrist Olympio est contraint à l’exil. Aujourd’hui, vivant entre Accra et Paris, le sort du principal opposant au président Eyadema serait scellé dans une des prisons de Lomé s’il lui arrivait à l’esprit de rentrer au pays. Ainsi, sans opposition ou face à une opposition ramollie, constamment malmenée par les forces de l’ordre, Gnassingbé Eyadema a les coudées franches pour se maintenir au pouvoir en modifiant à sa guise la Constitution après de simulacres d’élections. Comme les législatives du 27 octobre dernier auxquelles l’opposition traditionnelle n’a pas pris part. Il n’y a pas de doute qu’après la proclamation définitive des résultats par la Cour constitutionnelle, la nouvelle Assemblée qui sera, à plus de 95%, constituée de députés du Rassemblement du peuple togolais (RPT, parti au pouvoir) procédera à une nouvelle modification de la Constitution qui permettra à Gnassingbé Eyadema de briguer un nouveau mandat de cinq ans. En dépit de la promesse qu’il a faite en 1999 de quitter le pouvoir en 2003. La victoire est d’ores et déjà acquise puisque, selon une disposition du Code électoral, taillée sur mesure comme en Côte d’Ivoire contre Alassane Ouattara, pour être candidat à une élection présidentielle, " le candidat devra résider au Togo au moins dix mois avant le scrutin ". Gilchrist Olympio est principalement et personnellement visée par cette disposition de la loi électorale. Le syndrome ivoirien est aux portes du Togo. Car, si Laurent Gbagbo et ses prédécesseurs ont exclu de la course à l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, le nordiste Alassane Ouattara, Gnassingbé Eyadema et ses affidés écartent de la présidentielle au Togo, le sudiste Gilchrist Olympio. Drôle de coïncidence et de similitude entre ces deux événements dans deux pays dont le sort de l’un se joue chez l’autre... Car, comme la Côte d’ivoire, le Togo vit depuis un certain temps sur une grosse laque ardente qui pourrait exploser à tout moment. Tous les ingrédients sont réunis pour en arriver là. Gnassingbé Eyadema, ce médiateur particulier dans la crise ivoirienne, ne devrait-il pas d’abord songer à préparer des seaux d’eau chez lui plutôt que de s’occuper à chercher un destin de panafricaniste ? Assurément. Puisqu’il ne sert à rien d’éteindre le feu chez le voisin lorsque sa propre case brûle. » ( Sud Quotidien, 31 octobre 2002 et Courrier International, n°629 du 21-11-2002 ).
En voulant se présenter comme l’homme de la situation, Gnassingbé Eyadéma a étalé son incurie et affiché tout le ridicule dont il est capable. C’est avec raison donc, que le Président Wade a parlé d’échec et que la diplomatie française essaie avec précaution de mettre sur la touche ce « médiateur bien particulier. » Espérons seulement, pour le bien de la Cote d’Ivoire, que le Sénégal et la France reprendront vite la main dans ce dossier.
Isaac T. - UFCTOGO.COM

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