Immigration en France : le scénario du pire
par Témoignage chrétien , le 22 février 2006, publié sur ufctogo.comDésormais, la France « choisira » ses immigrés. Comme on choisissait les esclaves sur l’île de Gorée. En voulant sélectionner « ses immigrés », le gouvernement [français] injurie l’avenir et encourage la stigmatisation de l’étranger.
Nous sommes en 2100, l’Europe et les États-Unis sont plongés dans une profonde crise économique depuis un demi-siècle. La Chine, le Brésil et l’Inde, forts de leur population formée et jeune, contrôlent l’économie mondiale. Les pays africains et ceux du Moyen-Orient ont décidé, compte tenu des difficultés financières des anciennes puissances dominantes, de ne plus leur fournir les matières premières dont elles ont besoin. La France, entre autres pays, s’est considérablement appauvrie. Les immigrés, tant espérés au début du XXIe siècle, ne sont pas venus, effrayés par le racisme et les difficultés d’insertion des étrangers dans notre pays. Nos arrière-petits-enfants ont 40 ans, y compris ceux de nos ministres actuels... Dans leurs appartements mal chauffés, vivant de petits boulots, ils ont bien du mal à nourrir leur famille dignement. Ils voudraient émigrer vers Bangalore, Sao Paulo ou Shanghai. Mais les autorités de ces pays sont formelles : seules les personnes disposant de ressources personnelles importantes pourront entrer et contribuer à leur prospérité économique. Dommage pour nos arrière-petits-enfants, ils voulaient juste nourrir leur famille.
Fiction bien sûr... mais la réalité dépasse parfois la fiction. Ainsi de l’avant-projet de loi sur les conditions de séjour des étrangers en France, présenté par le Premier ministre, inspiré par son ministre de l’Intérieur. On y parle sans vergogne d’« immigration choisie et non subie ». Arrêtons-nous sur les mots. Ils sont loin d’être innocents. On comprend, en creux, que les étrangers vivant actuellement en France - et donc leurs descendants, et ils sont déjà des millions - ne seraient pas bienvenus puisque nous avons « subi » passivement leur venue sans réagir. Désormais, la France « choisira ». Comme on choisissait les esclaves sur l’île de Gorée. Les diplômes ont remplacé les belles dents. Et les Chinois sont invités à se substituer aux Africains, qu’ils soient du nord ou du sud du Sahara. Nos responsables gouvernementaux ont-ils mesuré la symbolique désastreuse de ces orientations ? Ont-ils perçu le manque de respect que ces mots portaient en eux ? Alors que leur projet - instaurant, pour la première fois depuis trente-deux ans, une ouverture relative des frontières pour l’immigration de travail - aurait pu rehausser l’image des migrants dans l’opinion, ils ont délibérément choisi de les stigmatiser, eux dont la France « subirait » la présence encombrante. à quatorze mois d’élections majeures, alors que le thème de l’immigration est celui qui prête le plus à des dérives xénophobes et populistes, vouloir légiférer de cette manière relève de la provocation à l’égard de tous ceux qui vivent dans la clandestinité, de tous ceux qui déjà n’arrivent pas à faire venir leur famille, et plus généralement de tous ceux qui inévitablement se sentiront visés par ce discours sur l’immigration « subie ». Ce projet de loi est dangereux car il jette l’opprobre sur ces migrants, leurs enfants et petits-enfants, que d’aucuns rendent responsables des maux de notre société, jusqu’aux émeutes des banlieues. Il sous-entend que tout immigré non « choisi » a vocation à être rejeté. Dès à présent, à Calais, dans trop de cités, en Guyane, à Mayotte, à la Guadeloupe, les immigrés non choisis sont des personnes traquées, menacées. Ce n’est pas digne de notre pays, des valeurs qu’il prétend incarner. Ce projet de loi est dangereux mais aussi irréaliste. Qui croira qu’un pays qui accueille les étrangers avec tant de réticences, maniant la carotte et le bâton, attirera les élites chinoises ou indiennes qu’il prétend séduire ? Qui croira et admettra que la France puisse reconduire à la frontière les 500 000 clandestins qui survivent malgré tout sur notre sol ? Une autre politique migratoire est possible : fondée sur un dialogue et une coopération renforcée avec les pays qui, depuis des décennies, sont liés à la France par l’Histoire et les flux migratoires. Le courage politique aujourd’hui consisterait à choisir la voie difficile d’une politique de l’immigration respectueuse des étrangers. Nous savons qu’elle est possible. Nous avons quelques semaines, quelques mois au mieux, pour que nos députés, le gouvernement, entendent cet appel qui allie le cœur et la raison.
Jean-Marie Fardeau
Jean-Marie Fardeau est secrétaire général du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD).
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