Interview d’Agbéyomé Kodjo sur RFI
par RFI (France) , le 19 septembre 2002, publié sur ufctogo.com
Carine Frenck : Après votre démission le 27 juin dernier, vous avez fui votre pays le Togo, vous vous cachez, d’ailleurs. Que redoutez-vous au juste ?
Agbéyomé Kodjo : Ma sécurité est en danger. Je suis poursuivi, par Eyadéma et sa police politique. Et donc, même ici, un accident peut être vite arrivé.
Carine Frenck : Pendant ce temps, au Togo les préparatifs des élections législatives anticipées se poursuivent, des élections qui seront boycottées en toute vraisemblance par les principaux partis d’opposition. Est-ce que vous comprenez la position de ces partis ?
Agbéyomé Kodjo : Je considère que la position de l’opposition est raisonnable. On ne peut pas participer à une mascarade électorale. Le code électoral a été modifié de façon unilatérale, la CENI, qui comprend également les représentants de l’opposition, a été dissoute et remplacée par un comité de sept juges, et l’indépendance de ces juges n’est pas assurée.
Carine Frenck : Mais c’est vous, Premier ministre de l’époque, qui avez soumis ce nouveau code électoral à l’Assemblée nationale...
Agbéyomé Kodjo : C’est un ordre du chef de l’État, que j’ai exécuté. C’est le Président Eyadéma qui incarne le pouvoir. Le pouvoir cherche son maintien, au-delà de 2003. Le Président craint que si l’opposition participait aux élections, il perdrait. Je pense que si le Président Eyadéma veut réellement quitter le pouvoir en 2003, comme l’indique la Constitution, et comme il l’a promis, au Président Chirac et à la Communauté internationale, on ferait une croix sur ces élections législatives anticipées aujourd’hui. Et faire en sorte également que des personnalités comme Gilchrist Olympio puissent également être au rendez-vous des élections de 2003.
Carine Frenck : Votre fuite, vos révélations, vous les présentez comme le résultat d’une prise de conscience personnelle, avec ce message donc, comme clé cde voûte de vos réflexions, il faut que le Général Eyadéma quitte le pouvoir ?
Agbéyomé Kodjo : Oui, je pense que la solution aux problèmes que rencontrent les Togolais aujourd’hui, passe par le départ du Président Eyadéma, et que la décision de Eyadéma (?), c’est que tout par de Eyadéma et revient à Eyadéma. Le Président de la République, il assure à la fois, le contrôle du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif, et du pouvoir judiciaire. Au niveau économique, je le vois faire. Donc comment, on prend à la source, sur les recettes des douanes, sur les recettes des impôts, comment les privatisations qui ont été opérées dans le pays, comment l’argent n’est pas rentré en totalité au Trésor public. Il y a tellement d’exemples...
Carine Frenck : On vous accuse, vous aussi d’avoir profité de cette corruption, notamment quand vous étiez directeur du Port de Lomé.
Agbéyomé Kodjo : Oui, j’ai été accusé, donc d’avoir détourné 34 milliards de francs. Mais la banque a publié donc un démenti...
Carine Frenck : Mais vous vous êtes enrichi au pouvoir, pendant toutes ces années...
Agbéyomé Kodjo : J’ai gagné légalement ce que ma place et mes fonctions méritaient.
Carine Frenck : On dit que vous êtes milliardaire aujourd’hui.
Agbéyomé Kodjo : Ça c’est faux, je suis en accord et en harmonie totale avec ma conscience.
Carine Frenck : Vous parlez aujourd’hui, du peuple togolais martyrisé. Qu’entendez-vous par là ?
Agbéyomé Kodjo : Lorsqu’un peuple perd sa liberté, lorsque la moindre manifestation de rue est réprimée, il y a des violations des droits de l’Homme au Togo, le système au Togo est un système militaire avec un ravalent civil, la violation des droits de l’Homme au Togo, c’est l’œuvre des forces de sécurité.
Carine Frenck : En tant que Ministre de l’intérieur, en tant que Premier ministre, qu’avez-vous fait, à titre personnel, contre ces violations des droits de l’homme ?
Agbéyomé Kodjo : J’ai fait beaucoup, mais je ramais à contre-courant ! Je n’ai aucune responsabilité dans la violation des droits de l’Homme au Togo. S’il y a quelque chose aujourd’hui donc sur la conscience, c’est le fait que Me Agboyibor ait passé plus de sept mois en prison. Pourquoi ? Parce qu’en fait, Eyadéma s’est servi de moi pour le mettre en prison et pour le rendre inéligible.
Carine Frenck : Quelle crédibilité donner à vos propos, quand on sait que c’est vous en personne, qui êtes venu à Genève, c’était en avril dernier, défendre le régime Eyadéma devant la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, pour dire que tout allait bien au Togo ?
Agbéyomé Kodjo : Non, je pense que l’élément fondamental de ma défense, à Genève, c’est autour des centaines de morts qu’on aurait trouvés avant, pendant et après les élections présidentielles de juin 1998. Là-dessus, je suis formel. Il peut y avoir quelques morts, mais il n’y a pas eu des centaines de morts.
Carine Frenck : Vous dénoncez donc ces séries d’exactions au Togo. Mais, vous avez participé à ce système Eyadéma, vous en étiez le Premier ministre ! Donc, il y a eu une complicité ?
Agbéyomé Kodjo : Je ne peux pas dire que j’ai été complice d’un système. J’ai servi mon pays, à divers postes de responsabilité, mais je dis à un moment donné, les dérives sont telles que j’ai décidé donc de me retirer, et de ne plus apporter ma caution...
Carine Frenck : Mais vous avez mis du temps à prendre conscience de tout ça. Il y a des opposants qui le font depuis longtemps.
Agbéyomé Kodjo : Mais, je dis : il n’est jamais trop tard pour bien faire. C’est une décision difficile que j’ai eu à prendre. Très difficile.
Carine Frenck : Est-ce que vous avez envie de demander pardon à ce peuple togolais ?
Agbéyomé Kodjo : Le peuple sait que j’ai opéré mon mea-culpa, je n’en pouvais plus.
Interview réalisée par Carine Frenck - RFI

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