L’Afrique face à ses démons
par La Croix (France) , le 10 juin 2003, publié sur ufctogo.comLes « démons » de l’Afrique noire sont connus et font oublier tout ce que ce continent a de positif chez ses populations qui tentent, envers et contre tout, de survivre. Ces démons passent en priorité par la politique, les coups d’État, des dictateurs, les enfants soldats, les luttes san glantes interethniques.
La tentation permanente du coup d’État
Une constatation s’impose en Afrique noire : les militaires, gradés, sous-officiers, hommes de troupe, sont un vivier inépuisable des coups d’État. Car l’armée demeure le principal recruteur de jeunes : « On est soldat ou fonctionnaire », dit un dicton africain. Du coup, cette armée est le reflet du mal-vivre de tout un continent. Aucun pays d’Afrique noire, à l’exception du Sénégal, de l’Afrique du Sud et de quelques autres, ne peut se targuer aujourd’hui d’être à l’abri d’un coup de force militaire. On l’a vu pour la Côte d’Ivoire qui, en 1999, a connu son premier coup d’État militaire en quarante ans d’indépendance, engendrant par la suite de multiples tentatives de contre-coups d’État réels ou supposés. Qui a pris le pouvoir par la force sait qu’un jour ou l’autre il sera confronté à des soubresauts dans sa propre armée. Cela peut prendre des années. Ainsi en Mauritanie, le président Maaouiya Ould Taya, arrivé lui-même au pouvoir par un coup d’État en 1984, alors qu’il était chef d’état-major, a été confronté les 7 et 8 juin à sa première sérieuse tentative de putsch due, semble-t-il, au rapprochement de la République islamique de Mauritanie avec les États-Unis pour lutter contre le terrorisme islamiste. Le « chef putschiste » est lui-même un ancien colonel, Salah Ould Henana, radié de l’armée, il y a deux ans, pour avoir critiqué le chef de l’État.
Vouloir être « dictateur » à vie
Autre constante, les chefs d’État, anciens putschistes, ex-rebelles, ex-chefs de file de l’opposition, ou encore « pères de l’indépendance » ne sont pas prêts à abandonner le pouvoir. Tout est bon pour le conserver, à commencer par le « tripatouillage » constitutionnel. Le but : s’arroger des mandats supplémentaires en s’appuyant soit sur le Parlement, comme au Togo où il a été décidé en décembre, six mois avant l’élection présidentielle, qu’il n’y aurait plus de limitation de mandats, soit par un référendum auquel la population n’ose pas répondre « non » par crainte de représailles.
La violation des droits de l’homme est donc au cœur même de cette pratique de présidence à vie : arrestations, assassinats, disparitions, perte du travail et exil, c’est le risque encouru par tout opposant. L’histoire africaine fourmille d’exemples de présidents qui n’arrivent pas à passer le relais, à jouer « les démocrates », à préparer leur succession pour éviter que le pays ne tombe dans le chaos. Derniers en date : le francophone Gnassingbé Eyadéma, au Togo, 67 ans, et l’anglophone Robert Mugabé, au Zimbabwe, 79 ans, tous deux mal réélus. Le premier, tout récemment, le 1er juin, avec l’aval de la France, le second, il y a un peu plus d’un an, les 9-10 mars 2002, dans un climat de condamnation internationale.
Le poids des luttes interethniques
La solidarité africaine est une qualité reconnue au continent, mais elle passe avant tout « par la défense du village, du clan, de la tribu ». C’est malheureusement une réalité qu’a une nouvelle fois confirmée la situation à l’extrême nord de la République démocratique du Congo (RDC), dans la région de l’Ituri, contrôlée par l’Ouganda. À Bunia, chef-lieu de cette région, il y a eu, depuis 1999, plus de 50 000 morts et 500 000 déplacés, en raison d’affrontements sanglants entre les tribus Hemas et Lendus, au départ pour des problèmes de terres et de bétail. Il a fallu attendre juin 2003, soit quatre ans, pour que l’ONU décide d’envoyer une force internationale, sous commandement français. À grands risques. Jusqu’à présent, l’Ouganda, comme son voisin le Rwanda, préférait jouer sur les deux tribus, évitant ainsi de rentrer en guerre directe pour le contrôle de cette partie de l’ex-Zaïre. Cette présence internationale remet aussi à la une le même débat : encore une nouvelle fois l’Afrique et les Africains eux-mêmes ne sont pas capables d’arrêter les massacres interethniques.
Le réservoir sans fin des enfants soldats
Il y a encore à peine deux ans, l’espoir était grand de voir avancer la cause des enfants soldats en Afrique, des dizaines de milliers (sur un total de 300 000 comptabilisés dans le monde), enrôlés de force par les guérillas, drogués à la marijuana, aux amphétamines ou encore à la cocaïne. C’est en effet sur le continent noir qu’ils sont le plus nombreux. On a montré à de nombreuses reprises ces enfants, garçons et filles, de Sierra Leone, au total 10 000, enrôlés de force, « ayant joué à tuer en vrai » pendant la guerre civile, redevenus de « simples enfants » grâce à un travail de rééducation sans précédent, réalisé par de nombreuses organisations humanitaires internationales, telle l’Unicef.
Mais la guerre à l’ouest de la Côte d’Ivoire a fait resurgir depuis le début de l’année ces bandes armées de tout jeunes soldats qui pillent, volent, violent, tuent. Sont-ils « des enfants » du Liberia, pays de l’ex-rebelle Charles Taylor, président depuis 1997, dont la capitale Monrovia est encerclée par les rebelles ? Sont-ils « des enfants » de Sierra Leone repartis au combat ? Un cri d’alarme est lancé à nouveau. Déjà au nord de la Côte d’Ivoire, faute de troupes importantes, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) a fait appel, depuis septembre, à des « enfants ivoiriens », armés de kalach nikovs, pour défendre et contrôler les routes. L’école n’étant plus assurée, ils se sont retrouvés nombreux à répondre à l’appel de la rébellion. « Je sais que c’est choquant pour les Occidentaux », déclarait sans état d’âme un responsable du MPCI.
Julia FICATIER - La Croix
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