Le délestage, un défi permanent pour le Togo et le Bénin
par IPS Inter Press Service , le 15 décembre 2006, publié sur ufctogo.comLe Bénin et le Togo, qui traversent une grave crise énergétique marquée par des délestages journaliers dans les deux pays voisins en Afrique de l’ouest, n’espèrent pas retrouver l’électricité à plein temps avant le premier trimestre de 2007, selon la Communauté électrique du Bénin (CEB).
La crise énergétique, commencée en mars dernier, avait connu un premier pic, toujours avec des délestages en juin avant de trouver une solution passagère grâce aux efforts individuels du Bénin et du Togo, et ceux de la CEB, une institution technique commune pour gérer l’électricité dans les deux Etats, et basée à Lomé, la capitale togolaise.
Mais la crise s’est accentuée encore en novembre à cause des problèmes que rencontrent les fournisseurs d’électricité du Ghana et de la Côte d’Ivoire dont dépendent, à 80 pour cent, le Bénin et le Togo. La ’Volta Région Autority’ (VRA) du Ghana et la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) ont considérablement réduit leurs livraisons en énergie électrique, passées de 140 mégawatts (MW) par jour en mars à 80 MW actuellement, selon la CEB. La CEB reçoit cette énergie avant de la distribuer au Togo et au Bénin à travers ces installations techniques.
"Sur les 100 à 110 MW de courant électrique fournis habituellement au Bénin par la CEB, le pays ne bénéficie actuellement que de 47 MW de 7 heures à 18 heures locales, et de 37 MW de 19 heures à minuit", a déclaré aux journalistes, Célestine Adjadohoun, l’ancienne directrice générale de la Société béninoise d’énergie électrique, à Cotonou, le mois dernier.
Selon un communiqué du gouvernement togolais, les raisons principales de cette crise sont d’abord liées à un déficit hydrologique dans l’ensemble des barrages de la sous-région : Nangbéto au Togo, Akossombo au Ghana, Taabo et Kossou en Côte d’Ivoire. Ensuite, il existe des perturbations dans la fourniture de gaz naturel alimentant les groupes thermiques de production électrique en Côte d’Ivoire.
Selon un document de la CEB, 77 pour cent des besoins ont été satisfaits en 2005, avec les importations de la VRA e de la CIE. Avant la crise de 2006, la CEB importait une puissance moyenne de 140 MW de la VRA et de la CIE sur une demande totale d’environ 200 MW.
"Il ne restait alors qu’à couvrir les 60 MW restants avec les sources propres de la CEB, complétées par celles des sociétés nationales de distribution (la Compagnie énergie électrique du Togo - CEET - et la Société béninoise d’énergie électrique - SBEE)", indique le document. Malheureusement, la sécheresse, qui réduit le niveau d’eau dans les fleuves de la sous-région, est venue aggraver la situation en limitant les capacités de production des barrages hydroélectriques.
Par ailleurs, la situation financière de la CEB n’est pas satisfaisante. Amah Tchamdja, directeur de la communication de l’organisation, a révélé à IPS qu’elle devait encore quelque 31,8 millions de dollars à la CIE et la VRA et aux compagnies pétrolières pour l’achat de l’énergie hydroélectrique et du carburant pour ses centrales thermiques. Ensuite, la CEB a fait des prêts bancaires qui s’élèvent à 5,7 millions de dollars.
La situation se complique avec la baisse du niveau du barrage sur le lac Nangbeto situé dans le sud du Togo, dont l’énergie électrique est exploitée également par la CEB au profit du Bénin et du Togo. Ce qui occasionne un déficit supplémentaire compris entre 19 MW et 36 MW, ajoute Tchamdja.
Les deux Etats secoués par cette crise ont du recourir au délestage électrique pour faire face à la situation. Pour une bonne gestion de ce délestage, des tranches horaires de quatre à six heures de coupure de courant électrique ont été instaurées et réparties dans les différents quartiers et villes des deux pays. Ces coupures atteignent parfois 10 à 14 heures.
Pour l’heure, les populations et en particulier les entreprises ont du mal à faire face à la crise énergétique qui affecte sérieusement leurs activités socio-économiques.
"La situation perturbe nos activités", se plaint Edmond Séshie, gérant d’une poissonnerie à Lomé. "Nous avons besoins à plein temps de l’électricité pour mettre au frais nos poissons, mais nous nous retrouvons de plus en plus avec des poissons pourris", déplore-t-il, avouant n’avoir pas les moyens de s’acheter un groupe électrogène capable de garantir le climat nécessaire dans les chambres froides.
Par contre, Assam Ahmed, un restaurateur d’origine libanaise vivant à Lomé, vient de se doter d’un groupe électrogène. "Mon restaurant tourne sans arrêt et je n’ai pas de problème de délestage", affirme-t-il à IPS.
Depuis quelque temps, des groupes électrogènes et des panneaux solaires inondent les trottoirs de Lomé, pour être proposés aux clients qui sont intéressés. Seules les familles et les entreprises qui ont de moyens financiers parviennent à en acheter à cause de leur prix élevé.
Les prix des groupes électrogènes varient entre 500 dollars et 20.000 dollars selon leur puissance tandis que les panneaux coûtent entre 200 dollars et 24.000 dollars.
Des stations de radio et de télévision sont également touchées par le délestage électrique. "Ce délestage nous perturbe dans notre travail et ce que nous déplorons le plus est le fait que la CEET ne respecte pas les heures de coupure", se plaint Junior Edem Aménunya, rédacteur en chef de la chaîne TV7 à Lomé qui vient de se doter d’un groupe électrogène.
Malgré les désagréments et les plaintes des clients, les responsables de la CEB rassurent : "Nous explorons déjà des pistes pour faire face à la situation", affirme Tchamdja à IPS.
La solution pour l’amélioration de la situation réside, selon lui, dans la diversification des sources d’approvisionnement. La CEB s’est engagée, par exemple, sur certains projets, notamment le projet d’interconnexion avec le Nigeria, qui pourrait être opérationnel à partir de mars 2007 ou un peu avant. "Cette interconnexion apportera une disponibilité supplémentaire de puissance de 75MW", souligne Tchamdja.
Le Togo, le Bénin et le Nigeria ont signé, en juillet 2001 à Cotonou, au Bénin, un contrat "d’achat-vente" d’électricité d’un montant global de 80 millions de dollars. Ce projet permettra de fournir, à partir du Nigeria, une quantité suffisante d’énergie au Bénin et au Togo à moindre coût, indique-t-il.
Une seconde étape sera la transformation des turbines à gaz de la CEB pour utiliser le gaz naturel qui viendra du Nigeria au Bénin et au Togo, avec le projet de Gazoduc de l’Afrique de l’ouest. Ce projet vise à construire un gazoduc de 700 kilomètres, qui acheminera le gaz naturel du Nigeria jusqu’au Ghana, via le Bénin et le Togo, tous les quatre pays étant voisins et membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest.
Les dirigeants de la CEB souhaitent également accélérer le projet de réalisation du barrage hydroélectrique d’Adjrarala, au Bénin, situé sur le fleuve Mono, commun au Bénin et au Togo. Ce barrage, dont le coût est estimé à 162 millions de dollars, devrait permettre de réduire la dépendance énergétique des deux pays vis-à-vis de l’extérieur, selon la CEB. L’énergie à plein temps est un grand défi pour le développement réel des deux Etats, ajoute Tchamdja.
IPS (Lomé)
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