Comme une mécanique rouillée, le même discours surgit, le même scénario se met en place, et les peuples oppressés et privés de la denrée la plus importante qu’est la liberté de choisir leurs dirigeants, restent condamnés dans une forme d’esclavage. La partie du monde qui est constituée par l’Afrique vit cette réalité depuis la nuit des temps, sans qu’aucun signe, ne permette, d’entrevoir une lueur d’espoir à brève échéance.’’
A New York où les dirigeants de la planète étaient réunis pour débattre d’une éventuelle réforme de l’Onu au terme de ses soixante ans d’existence, quelques salauds responsables des pires souffrances endurées par leurs concitoyens, ont enfilé des costumes de chefs d’Etat, pour s’exhiber en toute impunité. On a alors oublié, ou passé sous silence, leurs tares, leurs absences de légitimité, tous les pillages, les vols, les crimes, les mensonges et les barbaries dont ils sont auteurs au quotidien.
Dans cette grande messe de confusion où l’on faisait plus semblant qu’autre chose, la silhouette de la dernière vomissure du continent africain, ce rejeton de l’ancien dictateur Eyadema, rappelé au royaume des ténèbres par le Diable, ne s’est point gêné. Cet enfant qui rassemble à lui tout seul la somme des malheurs de l’Afrique, n’a pas du tout été embarrassé, et n’a pas craint, au micro de la radio de l’Onu, d’annoncer la réconciliation et la réhabilitation de la mémoire de Sylvanus Olympio, le tout premier président du Togo, que son sanguinaire de papa a froidement assassiné il y’a quarante ans, pour s’emparer du pouvoir. C’est cela, la mécanique rouillée, le jeu permanent d’une promesse de réconciliation, dont la finalité tient, de fait, à la régularisation d’une tricherie et la légitimation implicite du crime.
Notre trouble ne procède même plus, de l’attitude des partenaires extérieurs, dont l’empressement à jouer dans la logique d’une stabilisation tronquée fait dorénavant partie du scénario. Nous sommes depuis longtemps instruits, que sans les armes, et sans des massacres à grande échelle, personne ne viendra de Paris ni de Londres pour mettre fin aux exactions des autocraties. Nous n’en sommes pas ici à prêcher des prises d’otages et de la xénophobie, nous en sommes à constater que tant que de petits Blancs n’ont pas fait les frais d’un soulèvement de rue doublé de coups de feu sanglants, le monde ne se réveillera jamais dans le bon sens pour l’Afrique.
Les Etats-Unis qui ont fermement imposé la création d’un Fonds spécial de promotion et de financement de la démocratie, n’ont eu aucun mot public pour dénoncer tous ces criminels tapis dans la grande salle, et lesquels ont envahi les boutiques et les rues de New York, avec des délégations de prédateurs par centaines. Nous aurions été autrement plus impressionnés, si rompant le protocole, le chef de la Maison-Blanche prenait pour une fois, la responsabilité de dire son déplaisir pour la gestion de tel ou tel pays africain où des fous entretiennent le cinquième de la population de l’humanité dans la désolation.
Que le gouvernement d’union nationale se mette en place au Soudan et au Burundi suite à des Accords de paix construits sur des centaines de milliers de cadavres, n’est point pour nous un plaisir, et encore moins la promesse de lendemains qui chantent. Les fous qui nous tiennent dans une vingtaine d’autres pays annoncent plus de sang, de souffrances et de larmes devant lesquels, rien de ce qui se fait maintenant ne pourra être un antidote
Notre conviction n’a jamais été démentie et n’a jamais changé sur ce prétendu problème de la dette dont certains en ont fait un cheval de polémique inutile. La décision du Fmi de l’annulation de la dette des dix-huit pays les plus pauvres, ne changera véritablement rien au sort des peuples oppressés. L’urgence n’est pas dans la comptabilité de la dette extérieure, elle est plutôt dans les changements politiques en vue de parvenir à des élections libres qui favoriseront l’émergence de dirigeants responsables.
Nous refusons de militer pour une logique de débiteurs malhonnêtes et malveillants, tout comme nous avions depuis longtemps exprimé notre rejet de politiques qui font la promotion de cancres, de fainéants et de paresseux, au nom d’un équilibre appauvrissant.
En fait, ce qui fonde la continuité de ces fous au pouvoir, c’est à la fois la duplicité de l’extérieur, souvent innocente, souvent sadique de quelques moralistes d’une part, et la carence interne d’acteurs sérieux pétris d’idéologie nationaliste conséquents d’autre part.
Dans le premier cas, les bonnes âmes qui, en Occident, font de l’annulation de la dette une condition du développement de l’Afrique, une manifestation de solidarité, voire l’avènement de la justice dans les relations internationales, croient résoudre notre problème, celui des peuples oppressés. Elles se trompent lourdement et font preuve d’une naïveté dangereuse. Leur postulat de base c’est que chaque sou économisé dans le service de la dette, se traduira en routes, en projets de développement divers. Ce qu’elles ignorent sans doute, c’est que les dirigeants africains, les fous du pouvoir, dilapident annuellement, des sommes encore plus importantes que celles consacrées au payement de la dette extérieure.
Il est donc hors de question, d’applaudir comme certains Africains peu avisés le font, ces hordes de gauchistes des temps modernes qui se sont inventés dans la nouvelle appellation d’Altermondialistes.
Ce n’est pas le monde qui est un problème pour l’Afrique, c’est l’Afrique qui est un problème pour le monde. Ce n’est pas l’OMC qui menace l’Afrique, c’est l’Afrique qui menace les grands équilibres de l’OMC et l’exigence universelle de compétence et de mérite pour l’avancement des sciences et des techniques.
Au plan interne, la situation est d’autant plus grave, qu’il est quasiment impossible aujourd’hui de trouver des héritiers intègres aux nationalistes d’hier. La formation idéologique minimale a disparu partout, laissant la place à des opportunismes véreux. En prenant l’exemple de pays comme le Cameroun, le Sénégal, le Congo, le Kenya et l’Ouganda, l’on constate que la majorité des acteurs politiques, est loin de développer la moindre lucidité nationaliste.
En fait, les responsables à tous les niveaux, n’ont la plupart du temps, connu aucun apprentissage de la vie associative, de la vie communautaire et de la gestion collective désintéressée. Dans les lycées, les collèges, les universités, les entreprises, les quartiers, les nombreuses associations fondées sur des idéaux désintéressés et patriotiques ont disparu, au profit des structures mercantiles où l’argent est roi. Dans cette foulée, des sectes bizarres qui promettent l’ascension sociale rapide par la magie et toutes sortes de vaudou, se sont installées en triomphe.
Conséquences, des institutions privées à caractère intellectuel à l’instar de la Rose-Croix et de la Franc-maçonnerie, ou encore de bienfaisance sociale à l’instar du Rotary et du Lion Club, ont vite été appropriées négativement par des élites avides de gains qui en croyant y trouver les escaliers rapides d’accession politique, ont fini par les dénaturer aux yeux de l’opinion.
Comment dans ces conditions s’attaquer valablement aux fous qui par les ethnies, les sorciers, les marabouts, les armes et l’argent sale, ont confisqué le pouvoir ? L’absence d’une classe d’acteurs sociaux réellement politisée et rassemblant des atouts idéologiques, est devenue le principal handicap au changement en Afrique. La presse privée offre à ce propos, un spectacle désolant, car animée bien souvent par des journalistes qui n’ont jamais lu ni Nkrumah, ni Nyéréré, et qui n’ont aucune véritable direction idéologique dans leurs écrits. En fait on écrit pour écrire, et beaucoup n’ont aucune passion pour le sort de leur pays. On a ainsi entendu des journalistes proclamer qu’ils s’en remettent à l’éthique, mais laquelle ? L’éthique dans un pays ruiné, sous oppression, confisqué par des voyous, des fous du pouvoir ethnique et mafieux, peut-elle être la même que l’éthique dans un pays où le citoyen vote au moins librement, et où les trois pouvoirs sont effectivement indépendants. Notre réponse est non.
Tous les peuples victimes des régimes totalitaires doivent se libérer par tous les moyens, et dans ce processus, la qualité idéologique prime sur la qualité intellectuelle. Peu importe vos diplômes, ce que nous souhaitons et recherchons ardemment, c’est votre adhésion à des objectifs désintéressés de satisfaction collective, et de bien-être du plus grand nombre. Nous voulons des citoyens conscients du sort de la cité et prêts à mourir pour le changement, et non des citoyens bardés de diplômes prêts à vendre leurs âmes, leurs parents et leur dignité pour un verre de champagne, une belle voiture ou une promotion sociale douteuse.
Notre problème fondamental ne réside plus dans le montant de la dette, mais dans le nombre de vrais patriotes, bien formés idéologiquement et désintéressés. Aucun peuple n’a été libéré avec les diplômes, les peuples ont été libérés avec la foi, le courage, l’engagement et la détermination. C’est ce que nous enseigne l’histoire des treize colonies d’Amérique du Nord qui formeront la fédération des Etats-Unis, l’histoire des peuples chinois, français, algériens, vietnamiens, angolais, mozambicains, etc.
Ce n’est ni à New York, ni à Paris, ni à Londres, que le peuple du Sud-Soudan a forgé le respect et imposé le partage du pouvoir ; c’est par les armes, la force de leurs convictions et des sacrifices. Ce n’est pas à Addis-Abeba que les Hutu du Burundi ont fait savoir qu’ils constituent la majorité de la population, c’est en prenant les armes pour réclamer des élections justes. Les fous du pouvoir, à l’instar de Bongo, qui un matin décide de priver ses opposants de passeports et tous les autres qui refusent de quitter le pouvoir autrement que par la violence, doivent être combattus sur place avec détermination par une professionnalisation de l’agitation idéologique. Nous devons expliquer, convaincre, organiser et résister.
A quoi cela sert-il d’annuler des dettes, si les causes de leur accumulation n’ont pas disparu, et si les fous qui en sont responsables ne sont point inquiétés ? L’expérience de la gestion des fonds PPTE au Cameroun est tout un symbole. On se demande s’il faudra simplement pendre ceux qui ont détourné ces fonds et brûler leurs cadavres, les découper en morceaux, ou les dissoudre dans l’acide !
A relire
La banalisation des pouvoirs sales
(dans Le Messager du 15 mai 2005)
On nous a eu, en banalisant les pouvoirs sales, en nous faisant croire qu’il est normal qu’un individu s’accroche à un poste de responsabilité pendant des décennies, sans toujours rendre compte, et au nom d’une paix et d’une stabilité. Mais que sommes-nous vraiment ? Où allons-nous, de quoi demain sera fait, et comment nous en sortirons-nous ?
La banalisation des pouvoirs sales
Le malheur des uns est sans aucun doute, une leçon pour les autres, et en même temps, une excellente occasion pour une profonde interrogation. Mais que sommes-nous vraiment ? Où allons-nous, de quoi demain sera fait, et comment nous en sortirons-nous ?
La trop bonne habitude de porter des accusations stériles d’opposants, d’agitateurs et d’aigris à l’encontre de quelques rares Africains qui par-ci et par-là résistent encore et refusent de succomber à l’air du temps qui voudrait voir dans les pires régimes totalitaires des instruments de paix et de stabilité, ne nous découragera point. Notre conviction n’a jamais cessé de grandir, sur le fait qu’un jour, demain ou après-demain, le monde entier se lèvera et nous donnera raison, applaudissant à notre passage en louant nos écrits comme des faits de guerre.
Qui donc a soutenu que des individus violents, tortionnaires du silence, faiseurs de misères, et responsables de toutes les épithètes négatives sur l’Afrique, étaient des saints, des amis fréquentables de nuit comme de jour, des types que l’on qualifie de grands hommes sans jamais consulter leurs peuples, et au point de couvrir leurs sépultures de gloire ?
Nous ne mêlerons pas notre voix à celles, banales et tardives, qui voient dans l’effacement d’Eyadema, un simple événement. Nous ne resterons pas au stade de la contemplation, ni à celui de l’injure. Ce que suscite en nous la mort de ce monsieur, c’est une profonde interrogation, après que sa vie nous ait inspiré le plus amer des dégoûts. Mais que voudrait-on en fait insinuer, en plongeant ce pauvre cadavre dans un débat sur une quelconque succession ?(...)
La mise en scène togolaise est le symbole de toute notre mauvaise conscience et implique l’exposition au reste du monde, à la fois des limites de notre civilisation, et des travers de notre culture. Il ne sert à rien de verser dans des condamnations de circonstance, car le mal est profond, structurel et chronique. Et puis, le courage, l’honnêteté intellectuelle et un certain amour pour la vérité, exigent que nous disions sans détour, que l’affaire togolaise, est le même film qui attend le Cameroun, le Gabon, l’Egype et bien d’autres encore, si d’ici au jour du malheur imparfait, les rapports des forces en restent au stade où ils sont.
Il est bon de se souvenir que le schéma togolais renseigne beaucoup et articule tous les ingrédients d’une décrépitude tout à la fois morale, institutionnelle, politique et diplomatique. Mais pourquoi Paris devrait-il parler en deux temps et par deux voix, l’une du président Chirac qui exprime des admirations et des amitiés pour un dictateur sanguinaire, et l’autre du Quai d’Orsay qui exige le respect de la constitution ? Mais pourquoi devrait-on prendre tant de pincettes pour parler de criminels qui sont responsables de la mort de millions de personnes ? Combien d’Africains sont morts et combien mourront-ils encore à cause de la confiscation des pouvoirs par ces truands que l’on accueille en grande pompe au nom de ce qu’ils sont des chefs d’Etats ? Et si nous célébrions les traîtres de la France et de l’Amérique ?
Nous vivons un drame permanent dont la disparition de monsieur Eyadema ne constitue qu’un des épisodes. Ne nous reprochez pas de cracher sur les morts, car certaines morts valent la célébration. Qui ne serait pas content des malheurs de son tortionnaire, son geôlier, son oppresseur ? La voix des peuples se perd toujours dans ce silence dont seuls les cœurs connaissent la substance, et les louanges si lointaines des autres, n’est rien du tout, sinon la meilleure preuve que le disparu servait les autres au lieu de servir les siens.
L’occasion est bien plus excellente, pour confirmer et soutenir nos moqueries inlassables à l’endroit de ces brouillons de circonstance que les pouvoirs sales appellent “ constitution ”. La dictature est le règne du pouvoir personnel, contre le peuple, sans le peuple, pour tuer et humilier le peuple. On décide de tout, de simulacres d’élections, de révisions constitutionnelles, de la durée des mandats, de la classification des citoyens en autochtones ainsi de suite et... etc. On prend ensuite appui sur quelques intellectuels affamés dépourvus de toute dignité et de tout respect de quelconques valeurs, pour s’affirmer Etat de droit.
La réalité dans la situation togolaise c’est que les militaires n’ont fait que exécuter un scénario conçu et imposé par l’illustre dictateur avant sa mort. Le président de l’Assemblée nationale comme tous les autres détenteurs de petits postes, ne sont que des faire-valoirs. Tout le monde là-bas comme ici, est au service d’un pouvoir personnel et familial tortionnaire, totalitaire et absolutiste. S’il faudrait nous trancher la tête, il faudrait tout au moins que nous ayons dit la vérité et dénoncé ce qui de notre avis, recouvre tous les scandales de notre mise à la marge du monde et les causes indiscutables de notre arriération. Il convient de rappeler qu’à l’époque de la folle rumeur sur la mort du chef de l’Etat camerounais, des cercles ethniques proches du pouvoir s’étaient déjà concertés pour décider de la mise à l’écart du président de l’Assemblée nationale dans l’éventualité d’une problématique successorale.
La montée en première ligne de l’Union africaine, de l’Onu, et de quelques autres instances respectables, traduit bien plus qu’un embarras, que l’adhésion à une nouvelle approche radicale et pragmatique concernant les questions africaines. C’est à une idée complètement neuve de la gestion du pouvoir, de son émanation et de sa dévolution qu’il convenait de se référer. Hélas, ce que nous découvrons avec plus de chagrin que hier, c’est que les pourfendeurs des criminels togolais, ne sont pas encore prêts à faire le saut pour dénoncer et interpeller les autres acteurs des drames de même nature en préparation. C’est ce que l’on dira du Tchad, du Cameroun, du Gabon, ou de l’Egypte qui importe. Il ne faut pas un ordinateur très sophistiqué pour entretenir les mêmes drames en perspective.
Il faut ainsi, s’interroger plus que l’on ne condamne, et anticiper sur les drames plus que l’on n’apporte des secours. Le gouvernement du monde ne saurait plus s’accommoder de pouvoirs qui enferment les peuples dans les régimes de plusieurs décennies par la force, l’humiliation et l’oppression. Il s’agit de dire non à ces génocides lents mais incertains, qui ruinent les intelligences, tuent les génies, et aggravent les fractures entre les nations. C’est parce que l’on a banalisé les pouvoirs sales, que la tentation d’instauration des monarchies obscurantistes, gagne du terrain en Afrique.
Les Eyadema n’ont-ils pas reçu récemment l’onction de l’Union européenne, au point d’organiser une fête qui s’est soldée par la mort d’une dizaine d’enfants innocents manipulés par les criminels du pouvoir ? La responsabilité de ceux qui de l’intérieur ou de l’extérieur encouragent ces régimes est lourde, et il n’y a plus de doute, que le jour viendra où, les procès forceront chacun à venir se répentir après avoir accepté la sentence des juges.
La mort de monsieur Eyadéma n’est pas en réalité un malheur pour les patriotes africains, c’est une belle occasion d’information, de renseignements, d’enseignements et de mise en garde. Pour tous ceux qui n’ont pas souvent compris le sens de notre lutte et des bruits vexatoires de notre plume, voici venu le jour de la vérité. Chacun peut mieux apprécier ce qui nous attend, et prendre conscience du piège dans lequel des régimes si méchants nous ont enfermés.
On nous a eu, en banalisant les pouvoirs sales, en nous faisant croire qu’il est normal qu’un individu s’accroche à un poste de responsabilité pendant des décennies, sans toujours rendre compte, et au nom d’une paix et d’une stabilité dont il est seul le bénéficiaire, renforcé par des comparses de l’extérieur.
L’éclairage de SHANDA TONME
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